Suite à l’incendie survenu au Foyer des Tattes dans la nuit du 16 au 17 novembre 2014, plusieurs victimes atteintes dans leur santé n’ont toujours pas de permis de séjour, sont démunies de revenus, et attendent l’issue de la procédure pénale qui doit établir les responsabilités de chacun. Le Grand conseil a demandé au Conseil d’Etat de suspendre le renvoi des victimes tant que la procédure pénale n’était pas terminée. Le Conseil d’Etat fait la sourde oreille, mais le Grand Conseil ne lâche pas. Retour sur cette triste affaire.

Dans la nuit du 16 au 17 novembre 2014, un incendie a éclaté dans l’immeuble destiné à l’hébergement d’urgence des hommes célibataires étrangers frappés d’une décision de non-entrée en matière (NEM) sur leur demande d’asile. La gestion de cet incendie ne fut qu’une suite de cafouillage : les agents de sécurité ont tardé à déclencher l’alarme et à la place de s’assurer que tous les occupants quittaient le bâtiment en toute sécurité, ils ont ouvert la porte de la chambre en feu pour tenter de l’éteindre, en vain, avec pour résultat que la fumée s’est répandue dans le bâtiment. Un homme est mort asphyxié, et de nombreux autres sont tombés aux sol en tentant de descendre long des murs du troisième étage pour échapper à la chaleur et à la fumée. Les pompiers sont arrivés tardivement et n’ont pas pu éviter ces drames.

Or, il s’agissait d’un bâtiment propriété de l’Etat de Genève, géré par l’Hospice général. Ce n’était pas le premier incendie qui y éclatait, aussi un système d’alarme avait été installé, mais n’était pas raccordé à la centrale des pompiers. Le bâtiment présentait certaines déficiences, qui ont permis à la fumée de s’y répandre plus rapidement.

La justice pénale a été saisie de plaintes déposées tant par les victimes que par l’Etat (qui est lui-même, techniquement, également victime de l’incendie puisque c’est son bâtiment qui a brûlé). Des expertises ont été menées, avec en filigrane la question clé : ce bâtiment devait-il être traité comme présentant un risque accru à l’instar des hôtels et des hôpitaux ? Ou était-il un simple bâtiment d’habitation ? A l’heure qu’il est, les victimes attendent toujours que la justice tranche, et attendent de savoir si elles seront indemnisées pour les atteintes subies à leur santé et à leur capacité de travail. Or, étant NEM, ces personnes n’ont aucun droit au séjour en Suisse – le cas d’Ayop avait défrayé la chronique, puisque ce jeune requérant, qui souffrait de graves douleurs consécutives à cet accident, avait été placé en détention administrative en vue de son renvoi en Afrique, avant d’être libéré suite à une forte mobilisation populaire.

Dans ce contexte, le 18 octobre 2019, à l’initiative de la députée socialiste Léna Strasser, le Grand Conseil renvoyait au Conseil d’Etat une motion très simple, qui demandait deux choses : premièrement, la suspension des démarches de renvoi des victimes jusqu’à ce que la question de leur indemnisation soit tranchée, deuxièmement, une intervention auprès de la Confédération en soutien aux demandes de régularisation des victimes.

Dans sa réponse extrêmement décevante, le Conseil d’Etat manie la langue de bois avec brio et botte en touche. Il rappelle que les personnes concernées ont toute liberté de déposer une demande de permis de séjour et indique qu’il soutiendra ces demandes si elles remplissent les conditions légales. Il indique que le Conseil d’Etat n’a nullement l’intention de mettre sur pied un fond spécial d’indemnisation des victimes, qui poserait divers problèmes juridiques.

Mais il ne répond pas aux demandes du Grand Conseil, soit surtout un droit de rester en Suisse pour toutes les victimes (indépendamment de l’examen de chaque cas particulier), et la suspension de toute démarche de renvoi (notamment la suspension de toute menace de placement en détention administrative), jusqu’à la fin de la procédure judiciaire.

Le Grand Conseil n’a pas accepté cette réponse, et un vote EAG-PS-VERTS-PDC a renvoyé cette motion au Conseil d’Etat pour qu’il fasse ce qui est attendu de lui.

Pierre Bayenet