L’entraide administrative ne peut, ne doit se concevoir à sens unique. Or, c’est bien un renforcement de cette unilatéralité qui nous est proposé avec ce projet de loi du Conseil d’Etat plus prompt à se prémunir d’un faible taux d’abus aux prestations sociales que de lutter efficacement contre une forme endémique de non recours à ces mêmes prestations. Le Grand conseil, toujours arc-bouté sur une prétendue logique de saine gestion, continue à négliger les besoins d’une partie de population et induit de ce fait une hausse des coûts sociaux pour cause de non-assistance à personne dans le besoin.

La modification légale qui est proposée par le PL 12635 a été présentée comme ayant pour but principal de renforcer l’entraide administrative afin de prévenir les versements indus de prestations sociales cantonales et de faciliter les procédures de recouvrement. De fait, l’exposé des motifs, les présentations et divers commentaires de ce PL ont été focalisés sur un objectif de renforcement de la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Ceci, alors que de l’aveu même du Département de la cohésion sociale (DCS) les occurrences de fraudes sont très faibles. Les chiffres livrés par ce dernier en attestent. La fraude aux prestations sociales est un phénomène de très faible importance, contrairement à celui du non-recours dont on sait – sans pouvoir malheureusement le chiffrer, et pour cause – qu’il est très fréquent et qu’il induit des coûts sociaux et sanitaires importants faute d’une intervention idoine en temps requis.

L’une des dernières révisions de la loi sur le revenu déterminant unifié traitée par notre Grand Conseil en 2018 prévoyait d’ores et déjà un renforcement de l’entraide administrative en permettant en « back office » les transmissions d’informations d’un service de l’Etat à l’autre de données nécessaires à la réactualisation des dossiers à des fins de corrections des montants de prestations.

Des corrections à sens unique puisqu’elles ne devaient s’opérer qu’en faveur de l’Etat en cas d’indûment perçus, mais qu’elles ne fonctionneraient pas dans les cas de figure où des ayants droit se verraient pénalisés par défaut de réactualisation des données les concernant. Une asymétrie dénoncée par EàG comme douteuse et injuste.

Aujourd’hui, par le biais du PL 12635 on nous propose, entre autres, une consolidation du système de lutte contre la fraude aux prestations sociales. En proposant d’introduire la modalité de « communication spontanée», la recherche de fraude deviendrait alors systématique et pourrait s’appliquer sans autre indication que la méfiance ou le préjugé, sans garantie contre l’arbitraire.

En supprimant la nécessité d’une requête formelle, il n’y a pas de simplification ou de fluidification des procédures d’accès aux prestations. On pourrait à l’inverse en déduire l’ajout fréquent, voire systématique, d’une étape supplémentaire dans l’examen des dossiers. De fait, l’introduction dans le dispositif légal de cette autorisation de communication spontanée revient à affirmer la volonté de privilégier la recherche d’éventuels rares fraudeurs alors que la logique, l’urgence, voudrait plutôt que l’Etat s’attache à résorber l’ample et coûteuse problématique du non-recours.

Lors des travaux de la commission, il a été indiqué que : « Si, à l’origine, le Conseil d’Etat avait pour premier objectif le lien avec l’art. 148a CP, (ndlr : article du code pénal qui rapporte à l’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale) en réalité cela va dans les deux sens, pour autant qu’il y ait un échange d’informations sur la question. »

Toutefois, la minorité constate qu’à aucun moment, que ce soit dans l’exposé des motifs ou dans les présentations et commentaires du PL 12635, cet élément n’a été mentionné. Il apparait que quand bien même le texte légal permettrait des corrections la baisse ou à la hausse, rien n’est dit, ou mis en place, pour favoriser des corrections en faveur des ayants droit. Pas plus sur le plan procédural que sur un nouvel état d’esprit à développer pour traquer le non-recours ou la légitime rectification à la hausse de prestations sociales ne correspondant pas ou plus à la situation objective d’une personne.

Lorsque le RDU a été introduit en 2005, c’était dans la perspective de hiérarchiser les prestations et de simplifier l’accès à celles-ci. Or, depuis lors, il n’a pas été constaté une simplification d’accès, bien au contraire. Les exigences procédurales n’ont cessé de croitre, les moyens pour accompagner les usagers dans le dédale des administrations sociales de diminuer.

Dès lors, considérant que le système de lutte contre la fraude est d’ores et déjà largement développé et qu’il remplit à satisfaction son office, que l’entraide administrative devrait avant tout être destinée à simplifier les démarches des usagers tel que le prévoyait la loi RDU lors de son adoption plutôt que de renforcer la méfiance à l’égard de ceux-ci, nous avons tenté d’amender ce projet de loi pour en extraire les dispositions relatives à la communication spontanée. A défaut d’y être parvenu.e.s nous avons refusé ce projet de loi qui se trompe de cible et continue de stigmatiser les ayants droits aux prestations d’aide sociale.

Jocelyne Haller