Jeudi dernier, le Grand Conseil décidait de traiter, à l’improviste et en urgence mais à une majorité de plus des deux-tiers, le Projet de loi 12432. Celui-ci, de rang constitutionnel, veut qu’on renonce à la présidence du Conseil d’Etat, censément unique pour 5 ans, pour en revenir à une présidence annuelle tournante. Ce qui a été in fine décidé par le parlement à une majorité de plus des deux-tiers, suivant l’avis de notre camarade député Pierre Vanek rapporteur d’une minorité de commission… devenue majoritaire en plénière. En effet, en commission, il s’était dégagé une nette majorité de 9 voix (PS, PDC, PLR, MCG) contre 3 (EàG, Verts) pour refuser de réinstituer le système antérieur de tournus annuel des président·e·s institué par la constitution fazyste de 1847. Cette majorité de commission a été désavouée…

C’est assez logique, le tournus «automatique» est un modèle helvétique traditionnel, qui proscrit la concentration de pouvoir potentielle entre les mains d’une personne liée à une présidence durant toute une législature, comme il renonce, pour les mêmes motifs, à l’élection directe par le peuple, où à une présidence découlant du «rating» obtenu lors de l’élection du gouvernement… ce qui a été le cas pour Pierre Maudet.

Mais le refus du tournus avait été défendu en commission par un groupe de 3 ou 4 anciens constituants acharnés à préserver leur «œuvre»… comme l’étaient le rapporteur de majorité PDC Guinchard ou le défenseur PS le plus véhément de la présidence unique, le député Mizrahi. Ce dernier, irrité en diable qu’on puisse – dans ce domaine – vanter les mérites de la constitution antérieure… a déposé, avec quelques collègues, un amendement, se voulant peut-être humoristique, proposant à l’assemblée d’en revenir à la constitution de 1847… dans son ensemble. Cet amendement incongru n’a d’ailleurs même pas été suivi au vote par son auteur, recueillant deux voix seulement à la droite de la droite de l’assemblée.

Mais le rapporteur de minorité Pierre Vanek a été, par contre, suivi quand il a affirmé que Genève n’avait nul besoin de se calquer en la matière sur le canton de Vaud. Ni d’ailleurs sur l’État voisin outre-Jura aux dérives monarchico-présidentielles que l’on sait:

« Revenons aux dispositions égalitaires et démocratiques issues du génie genevois de James Fazy. Revenons à un tournus – à la Suisse – des président·e·s du gouvernement. Supprimons cet OVNI qu’est le «département présidentiel» dans la constitution ! » s’est-il exclamé, se laissant emporter…

Il a été suivi par une majorité de 65 contre 20 voix… glânées au PS et au PDC. On trouvera ci-dessous de larges extraits du rapport et de l’intervention de Pierre Vanek pour EàG. A noter que pour entrer en vigueur, la réforme doit encore être approuvée en votation populaire. Mais il ne fait aucun doute que ce sera le cas le moment venu.

Un peu plus d’égalité républicaine…
«Le système réintroduit par cette loi fait de la tâche de présider le Conseil d’État, une tâche interne au Collège, assumée momentanément par un primus inter pares, avec l’accent sur le pares et pas sur le primus.

Cette égalité républicaine n’empêche pas le cas échéant des personnalités d’émerger dans telle ou telle équipe gouvernementale, mais leur prééminence potentielle, ils/elles la devront  – le cas échéant – à leur action et à leur force de conviction – pas à une désignation présidentielle, parfois malvenue, en début de législature – avant même l’épreuve de toute action du nouveau gouvernement.

Ce système traditionnel a – pour l’essentiel – donné satisfaction durant plus d’un siècle et demi. A Genève, comme dans nombre d’autres cantons. Alors pourquoi diable avoir changé de système? La paternité du ver dans le fruit de la disposition fazyste revient, en la matière, sans conteste, à l’ancien Conseiller d’Etat, pourtant radical, Guy-Olivier Segond. C’est un homme généralement fort lucide. Pour preuve, dans le compte rendu de la cérémonie marquant son retrait de ses fonctions politiques en novembre 2001, Le Temps écrivait:

«Guy-Olivier Segond n’a pu s’empêcher de décocher une flèche en direction du Parti radical « que les errements à droite ont conduit hors du chemin« ».

Les faits lui ont donné raison, puisque 10 ans plus tard, le parti radical genevois renonçait à son existence même, descendant dans sa tombe politique, dans un ultime «errement à droite» mortel qui l’a conduit dans les bras du parti libéral !

Mais, parmi ses divers «errements» antérieurs il y a eu, de la part de GOS, cette prise de distance avec l’égalité républicaine radicale consistant pour lui (et son parti) à plaider pour que Genève se dote d’un «gouverneur» à la mode US… dont le président du Conseil d’État élu pour 5 ans, tel que l’a imaginé la constituante, est le plus récent avatar.

Un spectre hante le débat… celui du rôle de «Maire de Genève»
Chacun·e sait que, derrière toutes les justifications autour de la création d’un tel poste, il y a le «problème» de la rivalité avec la Ville de Genève et son/sa maire, ceci alors que la Ville de Genève en tant que municipalité est pourtant une conquête radicale. Il est vrai que «Maire de Genève» cela vous pose son individu sur la scène internationale, alors que le titre plus obscur de « Président du Conseil d’État » laisse entendre, par exemple pour nos voisins hexagonaux, qu’on serait à la tête d’une obscure juridiction administrative…

Or GOS  a connu la gloire d’être Maire de Genève sous les ors du Palais Eynard… avant de rentrer dans l’ombre de la médiévale Tour Baudet. La Ville de Genève fait parfois perdre la boule à tel ou tel de ses élu·e·s, on pardonnera donc volontiers sa modeste errance à Guy-Olivier Segond. On a vu pire depuis de la part d’un autre magistrat issu de la même écurie.

Mais le problème, c’est que la maladie a été contagieuse. Certains se souviendront qu’en 1999, le Conseil d’État sous la présidence de Martine Brunschwig Graf avait concocté en catimini, un projet de loi constitutionnel visant à faire du Canton de Genève… la «République et Ville de Genève» (sic!). La substance de la Ville (et son titre convoité de Maire de Genève au passage) étaient dans ce projet vampirisés par le canton et la Ville se voyait dépecée en 8 communes distinctes …dont avec la nouvelle constitution on aurait été appelé d’ailleurs ensuite à «encourager et faciliter la fusion» à teneur de l’art.183 de celle-ci.

L’esprit de la réforme…
Fort heureusement ce projet a été condamné vigoureusement par (presque) tous les partis (sauf les libéraux et certains verts) et a été refusé, sur le siège et sans renvoi en commission, par une très forte majorité de député·e·s indignés.

Une nouvelle poussée de fièvre dans ce sens a eu lieu en 2006, quand des libéraux, Olivier Jornot en tête, avec des acolytes UDC, ont remis la compresse avec un PL 9823 allant grosso modo dans le même sens, PL qui n’aura pas plus de succès que le précédent, en ayant été retiré sans explication par ses auteur·e·s quelques semaines seulement après son renvoi en commission.

La pertinence de ces éléments contextuels quant au débat actuel est confirmée par la lecture des travaux de la Constituante qui a mis en place le système que le Conseil d’État, comme le présent rapporteur, comme ce fut le cas de son groupe à la Constituante, aimeraient abroger.

En effet, on lit dans les PV de la Commission 3 de la Constituante sur les «trois pouvoirs» qui a traité de cette question de la présidence du Conseil d’État que la commission s’est posé la question, qu’on pourrait trouver incongrue, de …«donner le titre de maire au président du Conseil d’État» ! Cela n’a in fine pas été adopté, mais cela éclaire l’état d’esprit de la réforme entreprise en la matière.

Le département présidentiel: un OVNI constitutionnel
La fonction de représentation « internationale », envisagée pour ce «Maire de Genève» qui n’en a pas le nom qu’est le président pour 5 ans introduit par la nouvelle constitution, est d’ailleurs gravée dans le marbre avec la définition du « département présidentiel ».

Celui-ci déroge à la règle générale selon laquelle le gouvernement a la liberté de faire comme il l’entend pour «organiser l’administration cantonale en départements» sous réserve d’une approbation par le Grand Conseil. Dans le cas du département présidentiel, son existence et ses tâches sont vissées «en dur» dans la constitution (en son art. 106) avec, notamment, comme mission d’assurer les «relations extérieures et les relations avec la Genève internationale».

Cette spécificité dudit «département présidentiel» voulue par la Constituante est incongrue, pourquoi diable serait-ce forcément le président qui s’y colle en matière internationale ? Sinon parce que c’est – aussi – le département des mondanités et des relations publiques internationales et qu’on veut qqn-e qui ait un titre un peu auguste qui lui permette de régater face au Maire (de la Ville) de Genève…

Après, bien sûr, il y a aussi la charge confiée à ce département consistant à lui demander d’assurer «la cohérence de l’action gouvernementale» …mais cette «cohérence» collégiale dépend évidemment bien moins de l’intervention d’un président que, d’une perspective politique, hypothétiquement ou réellement, commune…

Serait-il trop tôt pour bien faire ?
Certain·e·s ont ressorti – pour contrer la réforme dont nous débattons – l’idée, très plate et un peu éculée, qu’il serait «trop tôt» pour faire des modifications à un texte constitutionnel voté en 2012 seulement! Cette idée est absurde: hormis le fait que nous (et le peuple dans sa suprême autorité!) avons voté plusieurs modifications constitutionnelles significatives depuis l’adoption du texte constitutionnel, obtenue à une majorité modeste, souvenons-nous en… il est par ailleurs parfaitement logique qu’une fois installé «dans les meubles» d’une nouvelle constitution, des citoyen·ne·s et des élu·e·s… prennent conscience de divers défauts, grands ou petits de celle-ci, et entreprennent derechef de les corriger.

Quand vous emménagez dans une nouvelle demeure, n’est-ce pas précisément dans les semaines et les mois qui suivent que vous allez appeler sans attendre tel ou tel artisan pour corriger tel ou tel défaut qui s’est révélé à l’usage ? Quant à l’usage, parlons-en…

On a vu d’abord, pendant quatre ans et demi, un François Longchamp, contraint à une espèce de «préretraite» avant l’heure, coûteuse pour les finances publiques soit dit en passant, l’élu étant mis en charge du seul département présidentiel et de rien d’autre… ses capacités étant ainsi, chacun en conviendra, lui en premier, très massivement sous-utilisées.

Puis, au début de la présente législature, le gouvernement est revenu avec un modèle différent, reconnaissant ainsi de facto que la formule précédente ne faisait pas l’affaire. Le Conseil d’État a alors élu Pierre Maudet comme président, un cadeau au motif peut être de son bon résultat électoral, tout en lui maintenant le Département de la Sécurité, ceci à un moment où les nuages judiciaires s’accumulaient pourtant au-dessus de sa tête et où cette décision – en principe irréversible pour la législature – était manifestement inopportune et malavisée.

Barrons la route aux coups d’Etat
«Si on est au Conseil d’État, on peut en être son président» affirmait alors une conseillère d’État à la RTS… «Il n’y a pas de demi conseiller d’État» disait alors un collègue à elle, abondant dans le même sens. Des avis dénotant une naïveté politique manifeste ou une cécité volontaire… qui se sont vus démentir par les faits.

En effet, rapidement, soit dès la mi-septembre 2018, Pierre Maudet a été démissionné de ses fonctions présidentielles pour les raisons que l’on sait. Le Conseil d’État procédant à l’élection de son remplaçant en la personne d’Antonio Hodgers.

Or cette procédure est tout à fait problématique eu égard à la teneur de la disposition constitutionnelle actuelle. Celle-ci prévoit en son art.105, al. 2, que le Conseil d’État «désigne parmi ses membres une présidente ou un président pour la durée de la législature », or indéniablement la disposition constitutionnelle imposant «un président pour la durée de la législature» n’a pas fonctionné… On a eu, très exactement «un président pour une durée de 4 ou 5 mois de la législature et un autre (du moins en principe) pour le reste de celle-ci», ce qui, on en conviendra est tout autre chose.

J’ai amicalement fait valoir lors du changement de présidence, au président actuel que son ascension à la tête du gouvernement était de ce fait anticonstitutionnelle et relevait donc apparemment d’un putsch l’ayant porté de manière inopinée au premier rang – incarné par la lettre a – de l’ordre de «Préséance entre les pouvoirs et fonctions » figurant à l’art.7, alinéa 2, de notre Loi sur le protocole (LProt – B1 25).

Les comptes rendus médiatiques confirment cette hypothèse du putsch. Le Temps écrivant alors:

«La présidence est assumée depuis ce jeudi matin par Antonio Hodgers, qui devient par conséquent président du Conseil d’État», précise le Conseil d’État dans un communiqué.» (13.9.18)

On «assume la présidence» et on «devient par conséquent président»… Notre excellent collègue, le député PLR Simon Brandt, dont c’est un des domaines de compétences incontestées, nous confirmera sans doute volontiers que c’est ainsi que procède le Général Alcazar, auteur sauf erreur de cinq coups d’État, heureusement imaginaires, dans les pages de l’œuvre de l’immortel Hergé. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe en principe chez nous. On est élu, on devient président et on assume ensuite la présidence…

La disposition constitutionnelle actuelle serait en carton-pâte
On m’a fait valoir depuis, du côté des juristes de la Chancellerie, que Pierre Maudet était consentant, qu’il avait démissionné de sa fonction et qu’il fallait donc bien le remplacer et que tout ça était donc bien légal et constitutionnel…

J’en doute, mais admettons… Dans ce cas, il suffit qu’un·e Président·e démissionne pour que le Conseil d’État puisse, sans autres, le/la remplacer à sa convenance. Ainsi la disposition constitutionnelle sur la présidence «pour la durée de la législature» n’est là que pour la galerie et le Conseil d’État peut, de facto, s’entendre comme il veut à ce sujet, dans tel de ses huis-clos hebdomadaires de la tour Baudet. Le/La Président·e démissionnant et ouvrant la voie à un·e collègue…

C’est donc selon l’avis de la Chancellerie, un e disposition en carton-pâte que je vous invite, avec le Conseil d’État, à supprimer aujourd’hui, pour en revenir à la disposition fazyste originelle, qui a fait ses preuves.

A signaler que c’est au moment précis du putsch évoqué ci-dessus, que le Conseil d’État, sans doute bien conscient du problème a décidé d’entreprendre de modifier la disposition constitutionnelle en débat. Dans le communiqué même qui annonce l’ascension du président actuel aux hautes fonctions qu’il occupe, le Conseil d’État écrit :

Le Conseil d’État entend déposer d’ici la fin du mois de janvier un projet de loi constitutionnelle visant le retour à un modèle de présidence annuelle, à l’instar de ce que pratiquent le Conseil fédéral et la majorité des cantons suisses. Ce projet de loi constitutionnelle est le résultat des constats tirés de l’exercice de la fonction présidentielle à Genève depuis 2013 et rejoint la position qu’avait exprimée le Conseil d’État dans le cadre des travaux de la Constituante. En effet, il apparaît qu’une présidence unique pendant toute la durée de la législature n’est pas favorable à la collégialité, principe fondamental dans une démocratie consensuelle telle que la nôtre. C’est pourquoi notre Conseil pense qu’une présidence annuelle permet de renforcer la cohésion requise entre les membres du gouvernement ayant des appartenances politiques différentes. Ce projet fera nécessairement l’objet d’une votation populaire.

Ne suivons pas un quarteron de constituants en retraite…
Ce sont 19 cantons sur 26 qui pratiquent la présidence annuelle. Certes le canton de Vaud fait autrement et le professeur Thierry Tanquerel, ancien constituant qui a écrit à la commission, nous a confirmé que la réforme genevoise en la matière avait été, selon ses termes exacts «calquée sur le modèle vaudois».

Pierre Vanek