Un oiseau d’un genre nouveau a traversé le ciel du Grand Conseil vendredi 2 juin 2021. Un accord a été passé entre toutes les droites, du MCG (qui défend le logement social pour les genevois uniquement) au PDC (qui défend la PPE), en passant par le PLR et l’UDC (tous deux opposés au logement subventionné). Résultat, le Grand Conseil a accepté un projet de loi MCG qui impose quatre années de résidence dans le canton avant de pouvoir accéder aux logements subventionnés.

Déposée en août 2020 par le MCG, ce projet de loi demandait l’extension à 5 années du délai de résidence à Genève pour quiconque souhaite accéder à des logements subventionnés. Lors de son examen par la commission du logement, le PDC s’est allié à la gauche pour rejeter ce projet. Au-delà de son caractère xénophobe, les auditions de l’Hospice général et de l’Office du logement ont également mis en évidence les difficultés très importantes auxquelles l’adoption de ce PL mènerait.

Pour plus de clarté, je cite ici l’intervention de la directrice de l’Office cantonal du logement a expliqué de manière très éclairante, lors de son audition par la commission du logement.

Historiquement, Le critère des deux années de résidence avait été adopté afin d’éviter un tourisme social. Ce but a bien été atteint.

S’agissant du premier objectif poursuivi par le premier signataire de ce PL (concentrer l’offre de logements sociaux sur les habitants du canton), il est déjà atteint puisque seuls les résidents légaux du canton peuvent accéder à un logement social, après deux ans de titularité d’un permis de séjour. Quant au second objectif (diminuer le temps d’attente), il n’est pas réellement atteint par le PL car 80% des demandeurs de logements sociaux remplissent la condition des cinq années de résidences. L’impact de la modification serait donc minime.

En revanche l’adoption du PL aurait pour conséquence un engorgement des dispositifs situés en amont du logement subventionné, soit les foyers et les hôtels, qui représentent des coûts très importants pour l’Etat. De plus, le logement est la première mesure de l’insertion sociale ; dès lors, en retardant l’accès aux logements sociaux la précarité croîtrait. Aujourd’hui, il y a 7’300 demandes en attente, et le temps d’attente moyen pour un logement auprès des FIDP est de trois ans.

De leur côté, les directrices du service immobilier et de l’unité logement de l’Hospice général ont indiqué :

L’activité de l’Hospice général serait touchée par ce projet de loi, sur les plans suivants :

  1. S’agissant des migrants, 40% des personnes hébergées dans leurs centres n’auraient plus accès aux logements et donc resteraient en tout cas trois ans de plus dans le dispositif. Ainsi, le projet de loi risque de fortement engorger les centres de l’Hospice général.
  2. Dans une moindre mesure les bénéficiaires de l’aide sociale hébergés dans des hôtels. 15% de ces personnes devraient attendre trois ans de plus avant de quitter l’hôtel. Selon les estimations cela représenterait un coût de trois millions de francs par année.

L’Hospice général peinait à trouver suffisamment de logement. Les nouveaux centres d’hébergement construits compensaient les places que l’Hospice général perdait. Elle releva qu’un durcissement des conditions d’accès aux logements sociaux aurait pour effet un engorgement des logements-relais, et un maintien des bénéficiaires dans la précarité du logement, ce qui, à son tour, diminue les chances d’intégration sociale des personnes concernées.

Enfin l’adoption de ce PL aurait pour conséquence des difficultés pour les suisses domiciliés en France voisine souhaitant s’établir à Genève, de même que pour les étudiants genevois s’étant domicilié à l’étranger durant leurs études.

Or, à notre stupeur, le PDC a retourné sa veste lors de la plénière. Alors qu’il avait combattu ce projet de loi en commission, il est intervenu pour soutenir qu’il fallait absolument réduire le nombre de personnes sur les listes d’attente de logement social, et que ce PL était une manière de répondre à ce problème.

On croit rêver! Le PDC a soudain décidé que le problème n’était pas la réalité – le nombre de personnes en attente de logement, mais l’indicateur – le nombre de personnes inscrites sur la liste d’attente. Plutôt que de répondre à un besoin, le PDC préfère désormais maquiller la réalité pour faire croire que les besoins sont plus faibles qu’en réalité.

Manipuler les indicateurs : il s’agit là d’une manière de faire de la politique que nous connaissons bien. Ainsi, le taux de chômage calculé en Suisse est largement inférieur au taux de personnes qui sont en recherche d’emploi, car seules les personnes qui ont un droit aux prestations sont incluses dans le calcul. De fait, il n’existe pas d’indicateur du mal-logement à Genève, et c’est la liste d’attente des fondations immobilières de droit public qui permet d’appréhender l’ampleur du problème du logement. Si le chiffre est élevé, cela donne à la gauche un moyen de pression pour obtenir la construction de plus de logement social.

Il n’est pas compliqué de comprendre pourquoi le MCG, champion de la préférence cantonale, a déposé ce projet. Il est plus complexe de comprendre pourquoi le PDC a pu le soutenir. La réponse est là: le PDC veut manipuler les indicateurs, et atténuer l’impression d’urgence sociale en matière de logement. Cela pour pouvoir justifier de la construction de plus de PPE. Impossible de ne pas faire le lien avec le PL 12934 dit « paix des braves », dans lequel le PDC, suivi par le PLR et l’UDC, propose de réduire le nombre de logement sociaux au PAV. Or il est évident que le nombre de personnes sur liste d’attente pour du logement social est un argument fort contre cette réduction. Conclusion : le PDC est prêt à priver des familles précaires d’un logement social, pour pouvoir construire plus de PPE. Le masque est tombé.

P.-S.: les défenseurs des droits fondamentaux noteront qu’il existe deux Conventions internationales pour la protection des travailleurs migrants, l’une dans le cadre de l’OIT, l’autre de l’ONU, qui interdisent toute discrimination des travailleurs migrants en matière de logement. Malheureusement, la Suisse n’a ratifié aucune de ces deux conventions. On peut se demander si cette discrimination n’est pas tout simplement contraire à l’interdiction générale des discriminations qui est prévue par la Constitution. J’ignore quelle serait la réaction du Tribunal fédéral s’il était saisi de cette question.

Pierre Bayenet