Une fois encore l’épineuse question de l’approbation des rapports de gestion de diverses entités publiques est posé. Ces rapports en questions nous donnent une version revisitée de la réalité de terrain et cachent en fait trop souvent ce que les parlementaires ne voudraient pas voir ; notamment leurs propres responsabilités dans les résultats qui leurs sont présentés. Car en réalité si certains objectifs n’ont pas été atteints, si la qualité des prestations baisse, si la quantité de ces dernières ne correspond pas à l’augmentation des besoins c’est en raison des politiques d’austérité imposées à ces établissements publics. Dès lors qu’approuve le Grand conseil, lorsqu’il est confronté à la demande d’approbation de ces rapports de gestion, si ce n’est l’acquittement de sa responsabilité dans la détérioration de la politique sociale de notre canton.

2019 aurait dû être une année de rupture avec le blocage durant plus de 10 ans de la subvention de fonctionnement. Elle aurait dû permettre d’apporter enfin un soulagement à la surcharge de travail endémique du personnel de l’Hospice général grâce au crédit extraordinaire de 7 millions proposé par EàG et voté par le Parlement lors de l’examen du budget 2019. Or nous le savons maintenant les engagements que devait rendre possibles ce crédit n’ont été réalisés qu’à partir de septembre 2019, soit après les trois quarts de l’année écoulée.

Si les représentantes du personnel auditionnées ont pu dire que cette subvention extraordinaire avait permis un certain allégement – quand bien même tardif – de la charge progressivement de la fin de l’année jusqu’après le 1er trimestre de la suivante, elles ont indiqué que malheureusement au printemps 2020 l’effet Covid 19 avait annihilé cette ouverture, et douché les espoirs du personnel de voir leur surcharge réduite de sorte qu’il puisse enfin réinvestir la tâche d’accompagnement social qui avait dû être reléguée en second plan.

Au 31 juillet 2020, au vu des incidences économiques et sociales des mesures sanitaires induites par la crise de la Covid 19, une hausse de 9% du nombre de dossiers était déjà à déplorer. Elle préfigurait de surcroît une tendance à la hausse qui ne manquera pas de s’intensifier durant quelques années avec les effets retard de la crise sanitaire. Rappelons à cet égard que déjà l’Hospice général avait vu l’augmentation du nombre des dossiers d’aide sociale croitre de 120% en plus de 10 ans. Ceci sans considérer les usagers.ères renvoyé.e.s sur d’autres services – eux-mêmes déjà surchargés – qui seraient venus faire exploser ces taux.

Les représentants de la direction de l’institution ont fait état de leur volonté de poursuivre un travail de fond pour renforcer l’accompagnement social des usagers de l’Hospice général. On peut supposer, à leur crédit, que si la crise Covid n’était venue y faire obstacle : de meilleures conditions de travail, une plus grande disponibilité des professionnel.le.s aurait pu leur permettre d’approcher cet objectif. Sachant toutefois qu’il ne suffit pas de vouloir, car que des principes d’interventions peuvent être rapidement mis en échec, mais qu’il est bien plus long, plus compliqué de les relégitimer et de les remettre en application. En effet après avoir dû justifier la mise à l’écart de ces principes d’intervention, après les avoir discrédité ; il s’avère particulièrement ardu de les réadopter, de les réaffirmer comme support essentiel de l’intervention.

Enfin, il faut porter au bénéfice de l’Hospice général les efforts qu’il a accomplis en matière de développement et de rénovation de son dispositif d’hébergement, notamment pour les requérant.e.s mineur.e.s non accompagné.e.s (RMNA) comme le lui avait demandé en son temps une large majorité du Parlement. L’Hospice général porte en lui toutes les compétences, tous les outils requis pour développer une véritable politique d’intervention sociale qui ai du sens, qui permette de faire face aux défis sociaux. Mais encore faudrait-il pour qu’il puisse mettre ces ressources en œuvre qu’il dispose des moyens indispensables non seulement pour ce faire, mais encore pour entretenir et voir réanimer ces compétences étouffées, désactivées, par la nécessité de parer au plus pressé.

Lors de l’examen de ce projet de loi par la commission, un commissaire UDC a établi une comparaison entre l’augmentation du personnel depuis le début des années 2000 de l’Hospice général et les courbes de variations du personnel dans les banques. Il s’étonnait que les banques aient pu drastiquement réduire leur personnel alors que l’Hospice général n’y était pas parvenu, et pire encore aspirait à l’augmenter. Quelques arguments lui ont été opposés. Il aurait été peut-être plus simple, plus explicite de lui dire tout simplement que par essence le travail social ne peut se pratiquer par le biais d’un « multimat » ou par le télébanking.

La logique, et un sens des politiques publiques bien compris, exige que tant que la demande sociale augmentera, les moyens d’y faire face devront également être augmentés en conséquence. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le sens des décisions prises par la majorité de ce Parlement. EàG déplore cette politique à courte vue. De nombreuses études en Suisse, et ailleurs, ont démontré que lorsque les travailleur.euse.s sociaux.ales présentent une dotation adéquate, correspondant aux standards définis pour leurs secteurs d’activités, les durées de prise en charge diminuent et les taux de réinsertion augmentent de manière significative. Diminuant ainsi drastiquement les coûts de l’aide sociale.

Ce n’est pas avec des de rendez-vous trimestriels, voire semestriel ou plus espacés encore, comme c’est le cas aujourd’hui, que l’on peut parvenir à ce résultat. On ne peut construire une relation d’aide, de confiance en rencontrant les usagers 4 ou 2 fois l’an ? Comment mettre en place un suivi, être suffisamment réactif pour aider des personnes lorsqu’elles sont confrontées à des difficultés ? Comment identifier leurs moments de découragement, de dépression lorsque l’on ne les rencontre qu’une fois par trimestre ou par semestre ? Comment allouer des prestations sans devoir procéder à des correctifs dommageables pour les ayants droits ? Aussi, parce que l’HG n’a pas pu bénéficier des moyens de faire face à sa mission, et parce que nous refusons de nous résigner à une diminution de la quantité et de la qualité des prestations, parce nous nous refusons à substituer à l’action sociale une « administratisation » sociale, EàG a refusé de donner sa caution au rapport de gestion 2019 de l’Hospice général et a appelé l’entier du parlement à assumer enfin ses responsabilités en la matière. 

Jocelyne Haller