Les intermédiaires du type Airbnb font sortir des milliers d’appartements du marché du logement à Genève. L’Etat se sent démuni mais ne fait pas grand-chose pour imposer des obligations aux acteurs majeurs, préférant poursuivre les usagers-ères. EàG veut renverser la vapeur et propose une lex Airbnb.

Le titre de cet article est volontairement provocateur : en fait, Airbnb respecte la LDTR (et son règlement, qui interdit à son art. 4A la location de vacances au-delà de 90 jours par année), car elle ne lui est applicable. Comme dans les autres modèles d’économie disruptive, la charge de respecter les lois repose sur celui qui est au bas de l’échelle : celui ou celle qui met en location son logement quelques semaines par année est sensé annoncer ses hôtes de passage à la police, encaisser puis verser à l’Etat la taxe sur le tourisme, déclarer ses revenus au fisc pour payer l’impôt, et ne pas dépasser 90 jours de location par année. Airbnb et les autres intermédiaires s’abritent derrière la responsabilité de l’utilisateur.

L’enjeu est important car il y avait, le 28 avril 2020, 2991 logements à louer via Airbnb dans le canton de Genève, dont la moitié offert pour plus de 60 nuits par années, et donc voués de manière durable au tourisme. Une ribambelle d’autres sociétés spécialisées dans ce marché offrent également à la location temporaire des appartements meublés. La période du confinement était propice à l’analyse puisque la majorité de la population était à la maison, et les plus de 3000 appartements offerts en locations étaient donc ceux qui sont durablement soustraits du marché de l’habitation.

Dans la pratique, l’Etat ne fait pas grand-chose pour surveiller la situation, car seul l’intermédiaire dispose des données qui permettent de vérifier si la loi est respectée. Et l’intermédiaire refuse de les communiquer à l’Etat, au motif de protection des données. Certains entrepreneurs privés (Pilier Public par exemple) offrent des services d’identification des usagers, mais cela reste relativement onéreux et complexe. L’Etat a d’ailleurs contacté certains entrepreneurs avec l’idée de leur confier la coûteuse mission de surveiller le marché numérique.

En janvier, EAG a déposé une question urgente au Conseil d’Etat, l’interpellant sur cette question, et relevant qu’une partie des cantons suisses avaient signé des accords insatisfaisants avec Airbnb. En réponse, le Conseil d’Etat a indiqué qu’il était en train de négocier un tel accord, mais que Airbnb ne pourrait pas transmettre à l’Etat les données relatives à ses usagers. Le 14 août 2020, l’Etat a annoncé la signature d’un accord minimum, prévoyant le prélèvement par Airbnb de la taxe sur le tourisme, mais excluant la communication des données.

Pour contrôler l’activité de ces innombrables intermédiaires, il ne faut pas conclure des accords avec eux – ce qui est impossible – mais leur imposer des obligations légales. C’est dans cet esprit qu’EAG a déposé, le 7 mai 2020, un projet de loi obligeant les intermédiaires à informer l’Etat de l’identité des usagers et de la durée de la location. Une alliance EAG-PS-Verts-PDC semble se dessiner derrière ce projet. Espérons qu’elle tienne jusqu’ son adoption. Et au-delà du cas précis d’Airbnb, il faut s’attaquer à toutes les plateformes numériques qui font disparaître des recettes fiscales, et leur imposer le respect des règles qui s’appliquent aux acteurs de l’économie réelle.

Pierre Bayenet