Le Grand Conseil, quasi unanime, soit à 81 voix contre 4, a suivi Pierre Vanek (EàG) qui rapportait au nom de la commission des droits politiques en faveur d’un projet de loi de gauche visant à conserver en mains publiques le système de vote électronique utilisé à Genève. Ce fut un désaveu cinglant pour le Conseil d’Etat, qui avait l’automne dernier «tiré la prise» du développement du système de vote électronique genevois… livrant le canton, en la matière, pieds et poings liés à la seule alternative, soit le système commercial privé vendu par La Poste, certifié par KPMG et développé par une entreprise étrangère controversée, la société Scytl, dans des conditions de transparence discutables.

Le gouvernement avait malheureusement pris cette décision sans en référer au parlement et sans présenter à celui-ci un quelconque bilan de l’expérience du vote électronique genevois ou des alternatives au fait de liquider notre système propre. Ceci alors qu’un crédit d’investissement de 4,74 millions de francs avait pourtant été voté en septembre 2016 par le Grand Conseil (PL 11867) pour financer le développement d’un système genevois de deuxième génération, conforme aux nouvelles exigences de la Chancellerie fédérale qui devait renforcer les garanties en termes de vérifiabilité et de sécurité des opérations de vote. Le gouvernement affirmait alors que «le vote électronique constituera un des principaux piliers d’une véritable politique publique du numérique pour Genève, compte tenu des enjeux liés à l’exercice des droits politiques.» Le Grand Conseil était intervenu au plan législatif également pour prévoir la mise en open-source des systèmes développés en la matière par le canton.

Une fonction régalienne nécessairement publique
Or la décision récente et unilatérale du Conseil d’Etat livrait le vote électronique à Genève – un exercice relevant de fonctions d’Etat pourtant manifestement régaliennes – pieds et poings liés à un monopole privé. Le projet de loi adopté à l’unanimité par la commission visait à barrer la route à cette hypothèse et à inciter le canton à revoir sa décision, à préserver et à développer les acquis du système genevois et à contribuer à développer une solution, potentiellement intercantonale ou fédérale à terme, sous le contrôle plein entier de collectivités publiques.

Le système proposé par la Poste et impulsé de facto par la Confédération, comme les normes et rythmes qu’elle a imposé en la matière, étaient en outre inacceptables pour la commission du fait que c’était une solution de monopole privatisé de facto de bout en bout. Le système est développé par une entreprise privée étrangère, il n’y a plus – après le retrait genevois – d’alternative aucune ce qui lui donne la possibilité de dicter ses prix… L’entreprise qui accrédite le système est également unique et privée (KPMG)… Bref, on était structurellement dans une situation problématique et malsaine : tant en termes de transparence, que de contrôle, que sur le plan financier…

On est en outre dans une situation de crise liée à l’échec de la Poste face aux tests publics récents, non seulement concernant son nouveau système, mais concernant le système actuel qui devait – et ne sera pas – être mis en œuvre dans un certain nombre de cantons le 19 mai 2019. Le fait que le 19 mai le système genevois soit le seul qui sera effectivement mis en œuvre en Suisse, offrait d’ailleurs une mise en perspective bienvenue sur ces questions.

La commission avait pris note du fait que le financement initial du développement genevois d’un système 2.0 répondant aux nouvelles normes fédérales était probablement insuffisant dès le départ. Elle a pris note aussi du fait que la mise en œuvre du système existant, simultanément au développement du nouveau système genevois, était une charge et une difficulté supplémentaire difficilement surmontable. Point auquel il faudra remédier.

Une orientation stratégique donnée
La commission a pris note de la position de la Cour des Comptes qui est prête à examiner l’hypothèse qu’elle se mette en mesure d’accréditer un système genevois de nouvelle génération et à nous en indiquer la possibilité et les coûts. La commission a insisté pour que le Conseil d’Etat demande de repousser le délai de février 2020 prévu par Berne qui signerait théoriquement la fin de l’utilisation à Genève du système genevois actuel qui a fait largement ses preuves.

Par la petite insurrection parlementaire qu’elle a menée, la commission a voulu envoyer un signal stratégique clair au Conseil d’Etat, l’encourageant à:

  • Ecarter le scénario d’un recours in fine au système Poste/Scytl/KPMG problématique politiquement, techniquement et financièrement.
  • Préserver à tout prix l’acquis du développement genevois, unique en Suisse, et le poursuivre selon des conditions à définir, mais pour lesquelles le parlement devrait avoir son mot à dire eu égard à la centralité démocratique de la question.
  • En particulier, veiller à préserver et à récupérer les compétences humaines et techniques en la matière qui ont pu être démobilisées par sa décision d’abandon.
  • Réaffirmer formellement que le vote électronique est une tâche régalienne que le Canton de Genève doit assumer clairement, seul ou en collaboration avec d’autres collectivités publiques.
  • Poursuivre ses démarches en direction de la Confédération et des cantons dans ce sens.

Le Conseil d’Etat représenté par son président actuel Antonio Hodgers a tenté d’affaiblir la loi par un amendement de dernière minute prévoyant des dérogations à son application… Le coup a raté, l’amendement du gouvernement a été balayé par 79 voix à 3…

Pierre Vanek