A l’heure actuelle en Suisse il est difficile de connaître avec exactitude le nombre de personnes surendettées. En effet, il n’existe pas de statistiques représentatives sur le sujet. On connaît le nombre de mises en poursuites (plus de 500’000 !), mais celles-ci n’indiquent pas forcément une situation de surendettement. On parle de surendettement lorsque la personne endettée n’a plus les capacités financières pour rembourser ses dettes.
L’association faîtière Dettes Conseils Suisse (DCS), qui réunit les institutions œuvrant dans le domaine du désendettement a listé 5138 de nouveaux foyers en 2021 concernés par cette problématique, évaluant pour celles-ci un montant total de dettes de 355 millions de francs. Et cela ne concerne donc que les personnes qui ont poussé la porte d’un de ces services sociaux afin de bénéficier d’un accompagnement.
Contrairement à ce qu’une majorité peut penser, les personnes surendettées ne sont pas complètement responsables de leur situation. Toujours selon les statistiques DCS, l’origine des dettes est majoritairement due à un « accident de la vie » : la perte d’un emploi, la maladie, une séparation sont les principales causes du surendettement. De plus, les personnes vivant dans la précarité sont évidemment bien plus à risque. A cela s’ajoutent les effets d’une économie libérale poussant toujours davantage à la consommation, facilitant la vie à crédit et n’avantageant que les grandes fortunes. En ce sens, il est nécessaire de ne pas mettre la personne surendettée seule face à sa responsabilité individuelle, mais tenir compte également de la responsabilité de notre société de consommation propre au capitalisme mondial.
Malgré un surendettement qui tend à augmenter, il n’existe pas en Suisse de procédure qui pourrait offrir aux personnes surendettées une deuxième chance, à l’instar d’autres pays européens tels la France, l’Autriche ou l’Allemagne. En effet, les procédures existantes sont compliquées et ne sont destinées qu’à des personnes ayant soit un nombre « raisonnable » de dettes, soit ayant des revenus confortables, ce qui exclut la plus grande partie des personnes concernées. La possibilité de faillite personnelle pour particuliers est également limitée des suites de la jurisprudence du Tribunal Fédéral depuis quelques années.
C’est pourquoi nous accueillons très favorablement la révision de la LP proposée par le Conseil fédéral.
Révision de la LP (assainissement des dettes des personnes physiques)
Cette proposition de révision vient à la suite des motions 18.3510 Hêche (« permettre la réinsertion économique des personnes sans possibilités concrètes de de désendettement ») et 18.3683 Flach (« prévoir une procédure de désendettement pour les particuliers, dans l’intérêt des débiteurs comme des créanciers ») adoptées en 2019.
Le Conseil fédéral propose en premier lieu une procédure concordataire simplifiée pour les débiteurs-trices n’étant pas soumis à la poursuite par voie de faillite, la rendant plus efficace et moins coûteuse que celle existante. Le fait de ne pas comptabiliser les créanciers qui ne se sont pas prononcés dans les majorités requises pour l’acceptation du concordat en est un bon exemple. Avec un accord majoritaire, la personne serait saisie sur ses revenus pendant une période donnée lui laissant un minimum vital élargi (donc avec les impôts compris, ce qui n’est pas le cas actuellement en cas de saisie ordinaire) et au but de cette période elle serait libérée des dettes restantes.
En deuxième lieu, la nouvelle proposition permet la création d’une procédure d’assainissement par libération des dettes restantes sous certaines conditions. Cela concernerait les personnes qui disposent de peu ou pas de capacité de remboursement. Pour y accéder, il faudrait que la situation du débiteur soit durablement insolvable et qu’il n’y ait aucune perspective d’amélioration dans un futur proche. En parallèle, il doit assurer ses charges courantes et ne pas risquer la contraction de nouvelles dettes. Une période de sûreté de 15 ans serait exigible entre chaque procédure.
- Prise de position et remarques
Nous ne pouvons que saluer cette révision longtemps attendue et que nous pensons nécessaire au regard des populations concernées. En effet, tenant compte des conséquences néfastes à long terme pour les personnes surendettées et pour la collectivité, nous défendons la possibilité d’offrir une deuxième chance aux débiteurs-trices pour enfin sortir de la spirale du surendettement. Il ne faut pas oublier que cette problématique a des répercussions non négligeables sur la santé, la famille et l’intégration sociale, qui par conséquent sont des problématiques touchant la société entière au niveau économique et social.
Toutefois, nous souhaitons mettre l’accent sur quelques améliorations possibles.
La durée de la procédure selon la révision serait de quatre ans. Or, selon les professionnel.le.s du terrain œuvrant dans les institutions qui accompagnent les personnes en situation de surendettement, ce délai est peu acceptable. En effet, d’après leur expérience, une durée de trois ans serait plus adaptée car il faut tenir compte de la difficulté de vivre avec un minimum vital élargi d’une part, et d’autre part, prendre en considération l’incertitude de la vie qui peut de manière subite modifier la situation des personnes (mariage, séparation, naissance, maladie, perte d’emploi etc.). C’est d’ailleurs cette durée de trois ans qui est largement conseillée par DCS.
En outre, il nous paraît indispensable d’assurer une accompagnement social adapté tout au long de la procédure. Toujours selon les professionnel.le.s, la procédure a beaucoup plus de chances d’aboutir avec succès si un suivi social est maintenu, effectué par des travailleurs et travailleuses sociales qui peuvent à tout moment intervenir et évaluer les risques sociaux.
Concernant la saisie sur revenu, nous espérons que soit intégré les impôts dans le calcul des frais de la personne. Cette situation ubuesque est par ailleurs dénoncée à travers une résolution à l’attention de l’assemblée fédérale par EAG au parlement genevois.
Enfin, ladite procédure exclut la possibilité que certaines dettes soient libérées comme les dettes de pensions alimentaires ou l’aide sociale. Bien qu’à Genève l’aide sociale ne soit pas remboursable, ce n’est pas le cas au niveau d’autres cantons. Sachant qu’un grand nombre des personnes à l’aide sociale connaissent une situation de surendettement, ne pas les assimiler les dettes d’aide sociale aux autres dans ce genre de procédure serait un frein puissant à leur réinsertion, tant au niveau social que professionnel.
- Conclusion
Ensemble à Gauche se battra pour que cette réforme puisse être voté avec les améliorations demandées. L’exemple de la situation genevoise où les personnes endettées sont tributaires du bon vouloir de fondations philanthropiques est anti-démocratique et intenable. Il est par ailleurs évident que la société de consommation, les inégalités de revenus et la dégradation de nos assurances sociales sont autant de facteurs qui influent fortement cet endettement et sur lesquels le conseil fédéral ne met aucun frein. Néanmoins, ce premier pas est à saluer et nous espérons qu’il pourra aboutir rapidement.