Le petit crédit n’est pas une entreprise philanthropique. Il rapporte aux instituts de prêts, mais coûte en revanche très cher à l’Etat. Ce constat n’a, à l’évidence, pas ému ceux qui généralement se targuent d’être les garants d’une saine gestion des deniers de l’Etat. ! Sans doute car il en va de l’intérêt des milieux bancaires auquel beaucoup d’entre eux sont liés ou par lesquels ils sont stipendiés. Le projet de loi sur lequel le Grand Conseil a dû se prononcer demande non pas de proscrire totalement la publicité pour le petit crédit, mais requiert simplement de l’empêcher sur le domaine public et privé, visible du domaine public, et à l’intérieur ou aux abords des bâtiments publics. En clair, le PL vise à éviter une publicité agressive. Son intention consiste à réserver des espaces sans publicité, sans influences commerciales, sans banalisation de l’emprunt.

Le PL 11 797 discuté lors de cette session se situe dans la foulée de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC). Or, si la loi adoptée par l’Assemblée fédérale se voudrait de nature à lutter contre les risques d’endettement, de sérieux doutes demeurent, selon les auteurs du projet de loi, quant au succès de celle-ci. La LCC ainsi révisée risquant fort de rester sans effets dans la mesure où elle préfère une autorégulation de la branche à davantage de contraintes. La nouvelle législation laisse de surcroît perdurer des failles qui affaiblissent considérablement son intention de lutter contre l’endettement.

Le projet de loi entend dresser des obstacles contre la banalisation de l’emprunt, issue de la décision du Groupe Valora, à qui appartient les kiosques K, Relay et Naville, de pratiquer dans certains de ses kiosques des prêts entre 1000, – et 3000, – CHF sur un à trois mois. Une apologie, comme la décrivait l’auteur du PL, « de l’argent rapide et facile délivré non plus par des professionnels de la branche, mais par des buralistes ». Une facilitation qui n’a pas fini de déséquilibrer des situations d’ores et déjà précaires, tout autant qu’elle sèmera la zizanie dans les familles et brouillera nombre de gens avec les employés du bureau de tabac voisin.

Ciblant particulièrement l’endettement des jeunes, le projet de loi  n’en pose pas moins une problématique qui touche sévèrement une grande partie de la population. S’il convient d’intervenir le plus tôt possible pour prévenir l’endettement des jeunes et leur permettre de rétablir rapidement l’équilibre de leur situation, l’accroissement de la pauvreté et de la précarité dans notre canton, doit nous conduire à lutter frontalement contre tous les facteurs de risque de surendettement pour l’ensemble de la population.

Enfin, et cela n’est pas simplement une question annexe, mais un sujet de société, une réflexion sur une incitation constante à la consommation devrait également être menée ; car l’emprunt ne signifie pas uniquement dans nombre de cas un achat que l’on n’est pas forcément en mesure de rembourser sans difficulté. Il implique souvent un achat qui n’est pas nécessaire et alimentera les montagnes de déchets que produit un mode de consommation irresponsable et dommageable pour l’environnement.

Défendre l’interdiction sur le domaine public de la publicité pour le petit crédit n’est pas incongru. Ce n’est pas même une aspiration idéaliste de quelques opposants à la société de consommation. Non, c’est de fait un impératif de politique sociale, une nécessité sanitaire, une intention partagée non seulement par la Commission fédérale « Enfance et jeunesse », mais également par le Conseil d’Etat qui déclarait dans son communiqué de presse du 2 octobre 2013 : « Le gouvernement genevois estime que cette proposition [avant-projet de révision de la LCC] est insuffisante et préconise une interdiction complète de la publicité pour les petits crédits. Il estime en effet qu’il n’est pas cohérent de demander aux institutions publiques, notamment scolaires, de faire des efforts de prévention, tout en laissant une grande liberté aux établissements bancaires pour faire de la publicité auprès d’un public particulièrement exposé et sensible.»

Au nom de la liberté du commerce, de la responsabilité individuelle et enfin, en vertu d’un argument qu’elle estime imparable, la non-conformité au droit fédéral, la Droite du Parlement et son aile MCG n’ont pas voulu ouvrir une brèche cantonale dans un dispositif légal insuffisant pour lutter contre le fléau de l’endettement.

Pourtant, à diverses reprises les cantons ont été précurseurs et n’ont pas craint d’aller plus loin que le droit fédéral, notamment lorsque celui-ci marquait le pas à propos de problématiques qu’il entendait traiter sans pouvoir aller jusqu’au bout de ses intentions en raison du poids des lobbys de la branche en question.

Dès lors, si chacun s’accorde sur la nécessité de prévenir l’endettement et le surendettement; les députés divergent sur la suite à donner au PL 11797. La majorité estimant que la révision de la LCC suffit et que la liberté économique ne devrait subir aucune restriction, fut-ce au bénéfice de l’intérêt public. Quant à la minorité, elle pense qu’il conviendrait d’agir au niveau cantonal pour faire ensuite progresser la loi au niveau fédéral et dans cette perspective d’ores et déjà agir sur les messages de banalisation de l’endettement accessibles depuis le domaine public.

A diverses reprises, la pertinence d’agir contre la publicité agressive sur l’espace public a été déniée sous prétexte que l’empêcher sur l’espace public ne l’empêcherait pas de se déployer sur Internet, qui est un vecteur important d’impact sur les emprunteurs potentiels. Ainsi ne pouvant tout faire, il ne fallait rien faire aux yeux de la majorité. Le propos peut surprendre, car c’est généralement la minorité qui est taxée de « jusqu’auboutismes», alors qu’en l’occurrence, ils se montraient mesurés et prêts à procéder par étapes. La publicité agressive, c’est le moins dont on puisse la qualifier sur Internet, représente très certainement un défi majeur. Toutefois ne rien entreprendre, de ce qui est à notre portée, sous le prétexte qu’une tâche plus ample encore nous attend, n’a aucun sens et nous condamne durablement à l’inaction. Ce qui ne saurait se concevoir !

Aussi, considérant que les travaux au niveau national ne sont pas allés au bout de leurs intentions et qu’il convient de donner un message clair en faveur du « crédit responsable » et contre la banalisation de l’endettement, le groupe EäG, avec les partis de l’Alternative, a voté en faveur de la modification de la loi sur les procédé de réclame qui a malheureusement été refusée par la majorité du Grand Conseil.