Le Conseil d’Etat a demandé l’urgence pour faire remonter à la première place de l’ordre du jour le débat sur le projet de loi de Pierre Maudet sur la « Laïcité de l’Etat ». En effet, en 92e position sur l’ordre du jour ce projet n’avait aucune chance de passer…

Une «urgence» bien étrange puisque ce projet de loi déposé en novembre 2015 ne répondait lui-même à aucune espèce d’urgence ou de nécessité, sinon de matérialiser la volonté de Pierre Maudet d’étendre son autorité aux questions religieuses, au prétexte d’une nécessité de légiférer découlant du texte ambigu de la nouvelle constitution en son art.3 alinéa 3. A signaler que le fait qu’il n’y avait aucune obligation de légiférer a été reconnu en commission par deux spécialistes du droit et constituants de bords contraires Michel Hottelier et Thierry Tanquerel… comme aussi d’ailleurs par le rapporteur de majorité PLR Lionel Halpérin.

Maudet se dispense du débat…
L’imposition de l’urgence à l’arraché, par un vote à égalité, arbitré en faveur de l’urgence par le président du GC, était d’autant plus incongrue que le Conseiller d’Etat, auteur du projet de loi, Pierre Maudet, s’était dispensé d’être présent au débat urgent… au motif d’une autre urgence apparemment supérieure qui l’appelait en Asie ou en Afrique où sa présence était semble-t-il indispensable.

Ainsi, le débat s’est-il déroulé en l’absence de Maudet, remplacé (mais pas tout le temps) par un président du Conseil d’Etat assurant sans enthousiasme un service minimum. A la table des rapporteurs, même topo, en début de débat c’est Lionel Halpérin qui s’est collé à défendre comme il a pu les options de la majorité (relative !) ayant voté la loi en commission. Le deuxième jour, il avait (littéralement) mieux à faire ailleurs… et un collègue de parti a dû prendre sa place à la table des rapporteurs. La continuité dans ce débat aura donc été largement assurée par le rapporteur de minorité soussigné… qui a défendu une vision démocratique de la laïcité qu’on retrouvera dans son rapport de minorité en lien ici.

A signaler que le PDC est revenu en tentant d’intégrer le rôle des organisations religieuses en faveur de la « cohésion sociale », que le plénum a refusé de rayer l’objectif flou et problématique de « paix religieuse » figurant dans les buts de la loi… et que l’interdiction de «signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs » a été étendue des fonctionnaires aux élu-e-s du Grand Conseil et des 45 conseils municipaux du canton.

Une loi qui aura bien de la peine à passer
Cette disposition qui proscrit que siègent des représentant-e-s d’un parti se proclamant démocrate-chrétien a été voté par une majorité hétéroclite… dont une partie s’opposera in fine à la loi. Le PS et les Verts, qui s’étaient abstenus en commission sur le vote final de la loi, trouveront là des motifs de la refuser… Comme en fourniront d’autres les dispositions et amendements encore «dans le tube» et qui émergeront lors du débat post-électoral du 26 avril qui verra le Grand Conseil se ressaisir du sujet.

Relevons, pour le bêtisier, les propos incongrus de telle supporter de cette disposition, alléguant que tous les élu-e-s représenteraient l’Etat en étant «représentants de la République une et indivisible». A quand l’exigence qu’on siège en uniforme comme des gendarmes !? …et sans barbe, ni moustache, comme les aime Maudet ? (Il faut dire que la même personne qui a voté l’entrée en matière de la loi a cru bon de citer un pasteur sur les «origines chrétiennes» de la laïcité ! Il a fallu que ce soit le rapporteur de minorité UDC, un peu mieux éclairé à tous les étages, qui s’en réfère à ce sujet aux Lumières et à leur siècle.)

Soyons sérieux: au parlement, nous ne représentons en effet pas un « Etat » idéalisé, mais bien le peuple ou la fraction de celui-ci qui nous a fait confiance, peuple qui – qu’on le veuille ou non – se divise, notamment en classes sociales qui ont des intérêts contradictoires, voire antagoniques… et dont la démocratie exige qu’ils puissent s’exprimer dans les urnes et au Grand Conseil. Victor Hugo affirmait que « La guerre, c’est la guerre des hommes; la paix, c’est la guerre des idées.» C’est en menant et en gagnant la guerre des idées, qu’on enterrera tous les intégrismes religieux -y compris la doctrine néolibérale et sa doxa délirante-… pas en interdisant au Grand Conseil le port de la cravate ou du complet de l’avocat d’affaires qui «signalent» pourtant souvent cette affiliation sinistre.

 

par Pierre Vanek, député EàG,
pierre.vanek@gc.ge.ch