En août 2016, le Conseil publiait le « RD 1155 Rapport sur la pauvreté dans le canton de Genève ». Ce faisant, il répondait enfin à une motion, déposée en 2011, demandant qu’une étude sur la pauvreté soit réalisée tous les deux ans pour tenir le registre du développement de la pauvreté dans notre canton et tenir compte des indicateurs fournis pour mieux adapter les politiques publiques cantonales aux besoins de sa population.

Ce rapport – outre le fait qu’il définit des critères, une méthode qui permettra à l’avenir de renouveler l’exercice et de réactualiser les informations relatives à la pauvreté à Genève – livre des données, des chiffres sur l’origine de l’accroissement des inégalités sociales dans notre canton, sur l’augmentation de la pauvreté qui devraient interpeller le Parlement et le Conseil d’ Etat. Les indications apportées par ce rapport devraient surtout conduire les autorités à reconsidérer bon nombre de leurs options en matière de lutte contre le chômage et la pauvreté, de soutien à l’emploi et les obliger à revoir leurs stratégies de « dumping » fiscal.

En dépit du tableau réaliste dressé par ce rapport, notre groupe conserve une certaine insatisfaction du fait de la non prise en compte dans ce dernier de certains groupes de population (population des 18 à 25ans, les personnes au bénéfice d’un permis B et celles qui sont taxées d’office). Nous estimons que l’éviction de ces groupes de personnes atténue l’importance des résultats pourtant déjà particulièrement alarmant de cette étude. Nous nous inscrivons également en faux contre la périodicité de 5 ans préférée aux 2 ans requis dans la motion.

Cela étant, ce que révèle cette étude est, à ce stade, suffisamment significatif pour mobiliser l’attention de tous les décideurs. Elle confirme, en l’objectivant et en le documentant, ce que les professionnels et les autres acteurs de terrain ne cessent de dire depuis près de 15 ans. Elle relève notamment que «si Genève est l’un des Cantons les plus riches de Suisse, cela ne signifie pas que ses habitants soient à l’abri de la pauvreté». Pour ne citer que quelques chiffres, il apparait ainsi que la fraction de la population à risque de pauvreté est de 30% plus élevée à Genève que dans les autres cantons et que 15% de la population renonce à des soins pour des motifs financiers. 13,6 % de la population cantonale doit percevoir des prestations sociales au sens large pour couvrir ses charges. 5,4 % sont à l’aide sociale au sens stricte. Sur ces dernières 18% sont des actifs occupés et 48 % ne présentent pas de formation initiale.

L’étude rappelle en outre (voir pages 68 et 69 du RD 1155): «qu’un emploi, même à plein temps, ne protège pas nécessairement du risque de pauvreté, et souligne que la pauvreté laborieuse est un phénomène présent à Genève, qui est vraisemblablement appelé à augmenter dans les années à venir. À ce propos, l’accroissement des inégalités salariales démontré par plusieurs indicateurs, s’il devait se poursuivre, occasionnerait une augmentation du nombre de personnes se situant en dessous du seuil de risque de pauvreté, et probablement aussi des personnes ayant recours à des prestations sociales d’assistance.

Il faut donc conclure qu’en l’absence d’un changement de cap dans les politiques salariales, l’intervention de l’Etat pour remédier à la faiblesse des revenus du travail sera appelée à augmenter, faisant dans les faits peser sur les finances publiques une insuffisance découlant de l’évolution du marché du travail. L’on peut même aller plus loin, en admettant la nécessité de lutter contre le désengagement des employeurs, dont l’insuffisance des salaires versés est comblée par les diverses prestations sociales délivrées par l’Etat, notamment les PCFam.

À des salaires trop souvent insuffisants s’ajoute à Genève un coût de la vie élevé, observable sur les biens de première nécessité mais aussi et surtout sur les prix du logement ou les coûts de la santé. L’aide sociale, en tant que relation d’assistance, devrait dans l’absolu correspondre à une phase de transition. Or, sans action de l’Etat ciblée sur les corollaires à une sortie de l’aide sociale – à savoir, notamment, l’accès à un logement à prix décent, un salaire suffisant pour couvrir les charges du ménage et des primes d’assurance maladie dont le coût n’engendre pas des inégalités dans l’accès aux soins – l’on peut non seulement s’attendre à une augmentation du nombre de personnes à l’aide sociale, mais en plus à une prolongation de la durée de la relation d’assistance.

Que dire de plus ? Si ce n’est qu’il est plus qu’amplement temps que les autorités de ce canton sortent de la logique des moyens pour entrer dans celle des besoins. Notre groupe s’y emploiera !

par Jocelyne Haller, députée EàG,
jocelyne.haller@gc.ge.ch