Nous reproduisons ci-dessous une lettre envoyée par notre conseillère nationale, Stefanie Prezioso, au Président du Conseil national, Andreas Aebi, au sujet de l’accès au vote des élu-e-s vulnérables.


Monsieur le Président du Conseil national,
Cher Andreas Aebi,

Depuis le 13 mars dernier, j’ai alerté à de nombreuses reprises le Bureau du Conseil national afin que les conseillers nationaux et conseillères nationales, en particulier celles et ceux qui font partie des catégories de personnes particulièrement vulnérables, puissent siéger dans les meilleures conditions possibles en plénière comme dans les commissions.

Le caractère inédit de la pandémie nécessitait, il est vrai, une phase d’adaptation qui a pris un peu de temps, forçant le Conseil national à interrompre abruptement la session de mars 2020 sans que ne soient offertes aux élu-e-s des possibilités (pourtant aisées à mettre en place) de poursuivre leurs travaux via une plateforme virtuelle. Entre mi-mars et la session extraordinaire du mois de mai, ces élu-e-s n’ont pas été en mesure d’intervenir dans le cadre de cette crise inédite, leur déniant leurs droits démocratiques élémentaires ainsi que ceux de leurs électeurs et électrices.

La contradiction entre les injonctions du Conseil fédéral qui en appelaient et en appellent toujours au télétravail partout où cela est possible et le refus qui m’a été longtemps opposé d’envisager la possibilité de mettre en place une session en visioconférence, parce que, me disait-on, cela aurait nécessité « un changement de la Constitution » était pour le moins désolante, alors que la Suisse comptait ses premières centaines de morts.

La Suisse déplore aujourd’hui près de 6000 morts, soit plus de deux fois plus qu’il y a seulement un mois ; la Société suisse de médecine intensive a ainsi invité les « les personnes à risque d’infection sévère » à indiquer si elles souhaitent « bénéficier de mesures de prolongation de vie ». Et le Conseil national entre enfin en matière sur le vote à distance. L’initiative parlementaire 20.483 acceptée hier en vote final autorise le vote à distance des conseillers nationaux et conseillères nationales en isolement ou atteint de la Covid-19 mais ne prévoit pas l’exercice des mêmes droits des élus faisant partie de la catégorie des personnes particulièrement vulnérables. Une mesure discriminatoire qui viole les droits démocratiques les plus élémentaires de celles et ceux dont la vie est mise en danger par les conséquences de cette pandémie, mais aussi de leurs électeurs et électrices.

Cette exclusion va à l’encontre de notre Constitution fédérale qui, en son article 8 alinéa 2, soutient que « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique ». 

Une société qui ne protège pas ses membres les plus fragiles, leur dénie le droit à être représentés, ou les met sciemment en danger ne peut pas se définir comme une société démocratique. Or c’est bien malheureusement la direction prise par nos autorités qui ont décidé, le 22 juin dernier, de ne plus offrir un cadre réglementaire aux personnes vulnérables.  A teneur de l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre les épidémies, les entreprises ont « l’obligation d’établir un plan de protection », mais il revient à l’employeur de juger ce qu’il doit ou peu faire dans ce sens. 

Or la salle du Conseil national au Palais fédéral, où les élu-e-s siègent à quelques dizaines de centimètres les uns des autres, n’est pas aujourd’hui un lieu sûr pour les personnes particulièrement vulnérables ; les parois en plexiglas ne donnent pas une garantie sanitaire sérieuse, tant et si bien que le canton de Genève vient de décider qu’elles ne justifiaient pas la réduction de la distance sociale de 1,5 m dans les restaurants. Comment est-il possible dans ces conditions d’exclure les personnes vulnérables des votes à distance et de tout autre type d’intervention durant la session parlementaire ? Sur quelles bases ?

La session de décembre arrive à son terme, l’initiative parlementaire a été votée. Dont acte.

Mais je vous demande instamment de trouver des solutions qui soient en accord avec notre Constitution fédérale pour la prochaine session de mars, alors que selon toute vraisemblance nous serons encore en pleine pandémie.

Les conseillers nationaux et conseillères nationales qui, comme moi, ont accepté cette charge et le font avec sérieux, au nom de leurs électeurs et électrices, doivent pouvoir faire entendre leur voix.

J’espère que cet appel pressant sera entendu.

Avec mes plus cordiaux messages.

Stefanie Prezioso