Une majorité du Grand Conseil a accepté le deal pourri PS-PLR-PDC-MCG-UDC pour la RFFA cantonale. Loin du « compromis acceptable » vanté par le PS, il s’agit d’une baisse massive des impôts sur le bénéfice des grandes entreprises, dans la droite ligne de la RIE III. Afin de faire passer la pilule, la majorité l’a enrobé d’une version édulcorée de l’initiative pour un plafonnement des primes d’assurance maladie à 10% du revenu (lancée notamment par le PS)!  A la manœuvre pour faire accepter ce marché de dupes, le PS genevois a donc bradé ses promesses électorales et fait corps avec la droite pour défendre sans sourciller un dumping fiscal agressif. Ce sera au peuple de trancher le 19 mai.

 

  1. Pourquoi baisser massivement les impôts des entreprises, alors que leurs charges fiscales et sociales sont aujourd’hui parmi les plus faibles au monde ?

La Suisse est le plus vieux paradis fiscal au monde pour les grandes entreprises souhaitant payer un minimum d’impôts. Cette politique a privé les autres pays de très substantielles recettes fiscales, suscitant pour cela de très nombreux conflits entre les autorités étrangères et les milieux dirigeants suisses. La RIE I de 1994 a supprimé la progressivité de l’impôt sur le bénéfice et fixé un taux réduit unique de 8,5% au niveau fédéral ; la RIE II de 2008, a introduit l’imposition partielle des dividendes des gros actionnaires et la possibilité pour les cantons d’imputer l’impôt sur le bénéfice à l’impôt sur le capital.

Plus récemment, l’évasion fiscale rendue possible par les statuts spéciaux accordés aux holdings et sociétés de domicile a poussé l’OCDE et l’UE à exiger de la Suisse la suppression de ces niches fiscales. On sait que la réponse de Berne a été de faire profiter l’ensemble des entreprises de niches fiscales quasi-équivalentes. C’est le sens de la 3e réforme de l’imposition des entreprises. Afin de justifier ce « big bang » fiscal, pour reprendre la formule du fiscaliste Xavier Oberson (Le Temps, 30 sept. 2014), que Pascal Broulis a qualifié de « plus grande réforme fiscale depuis les années 1940 », la droite patronale a pris prétexte de ces pressions externes, même si cette réforme a été mise en chantier au lendemain du vote sur RIE II.

Pour justifier les énormes baisses de taux annoncées, les économistes néolibéraux ont mobilisé une nouvelle fois l’argument éculé d’Arthur Laffer (« Trop d’impôt tue l’impôt ») qui repose sur un lieu commun : un taux d’imposition de 0% ne fournit aucune recette, tout comme un taux de 100% ; l’optimum se situe entre les deux. Ce truisme érigé en théorie est le produit d’une soirée bien arrosée, en 1974, dans un restaurant select de Washington, dont les résultats sont résumés par une courbe, griffonnée sur une nappe en papier, conservée religieusement au National Museum of American History, dès lors que Laffer a été l’un des conseillers de Reagan. Mais le problème, c’est que personne n’a jamais pu établir de façon scientifique où se trouvait le point d’inflexion de cette courbe… Parce que là s’arrête l’idéologie, et là commence la politique.

Nous allons voir que Genève cherche les premières places dans cette course des cantons suisses au dumping fiscal. Ce choix résulte d’une politique économique qui favorise depuis des années la désindustrialisation du canton (10% du PIB, contre 20% en Suisse), qu’elle vise à transformer en hub international pour holdings et sociétés de domicile très volatiles, qui ne produisent rien, se spécialisent dans des activités spéculatives (finance, trading, immobilier), et tendent à déplacer leur siège en fonction d’opportunités diverses (politiques, fiscales, etc.). Un exemple parmi d’autres, PetroSaudi, domiciliée à Carouge, qui recycle des capitaux du Golfe dans de nombreux trafics (cette entreprise est actuellement poursuivie en Suisse pour un détournement de fonds d’un montant de 1 milliard de dollars). Les affaires qui émaillent la politique locale ne sont pas sans relations avec de tels choix économiques.

 

  1. Pourquoi baisser massivement les impôts des entreprises, alors que « l’attrait économique » du canton ne serait pas menacée par l’adoption d’une réforme fiscalement neutre ?

Ensemble à Gauche n’a cessé de répéter qu’une baisse massive du taux d’imposition du bénéfice des entreprises (de la petite minorité  des entreprises qui déclarent un bénéfice imposable significatif), de 24,2% à 13,99% ne vise pas à conserver le tissu économique genevois et à stimuler sa croissance, mais à jouer à fond la carte du dumping fiscal international et intercantonal pour augmenter encore les profits des grandes entreprises et les dividendes versées aux actionnaires.

Par rapport à notre voisin immédiat, le canton de Vaud, qui vient de baisser son taux d’imposition des bénéfices de 21,37% à 13,79%, nous réduirions l’écart actuel de 2,8 à 0,2 points de pourcentage. Pourtant, nous avons d’importants autres avantages non fiscaux par rapport à lui, que le Service de la promotion économique genevois a pointé dans une brochure publiée en 2015 : (a) nombreuses organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales ; (b) tissu économique riche et diversifié ; (c) l’une des capitales mondiales de la banque privée et du trading, de l’industrie du luxe et des technologies de l’information et de la communication ; (d) forte concentration de bureaux d’avocats d’affaires et d’assurances ; (e) bien située au centre de l’Europe avec un aéroport international, un port franc ; (f) université de haut niveau, réseau hospitalier et hôtelier dense et de haute qualité…

C’est pourquoi, une récente étude du Crédit Suisse, publiée l’automne dernier, intitulée « Qualité de la localisation 2025 : Perspectives après la réforme fiscale », note qu’à l’horizon 2025, avec le CEVA et la réforme de la fiscalité des entreprises prévue, Genève devrait bondir de la 13e à la 4e place en Suisse, immédiatement derrière Zoug, Bâle et Zurich, laissant loin derrière le canton de Vaud, qui passerait quant à lui de la 17e à la 13e place !

En clair, il est probable qu’avec une baisse des taux plus modérée, fiscalement neutre, de 24,2% à 16%, Genève aurait pu largement conserver sa position actuelle au classement, voire l’améliorer. Cette réforme marque donc la volonté de jouer à fond la carte du dumping fiscal, non seulement international, mais aussi intercantonal ! C’est pourquoi, il est consternant qu’il se soit trouvé des député-e-s socialistes en commission fiscale et une majorité de l’AG du PS pour la soutenir.

 

  1. Pourquoi baisser massivement l’imposition des entreprises, alors que celles-ci bénéficient des infrastructures et des services publics payés par les impôts, parfois même de façon prépondérante ?

Dans la présentation des PL 12011 et 12012, concernant le financement des transports publics et de la formation professionnelle, qui faisaient partie, comme le PL 12009, relatif aux structures d’accueil de la petite enfance, des mesures d’accompagnement de la version genevoise de RIE III, le Conseil d’Etat reconnaissait explicitement que les employeurs devraient contribuer plus fortement au financement de certains services publics, en sus de leurs impôts ordinaires, parce qu’ils y avaient un intérêt prépondérant.

Concernant les TPG, l’exposé des motifs du PL 12011 précisait ainsi : « les employeurs sont les sujets juridiques à qui profitent plus directement les prestations des transports publics ici en cause, en ce sens que l’effort accru fourni par les transporteurs publics aux heures de pointe profite plus directement aux employeurs qu’à la majorité des citoyens en tant qu’il garantit la ponctualité des déplacements et donc l’entrée en service des employés ».

Ensemble à Gauche avait été séduit par la créativité juridique et par l’intelligence politique de ces projets, raison pour laquelle il les a repris à son compte lorsque le Conseil d’État a décidé malencontreusement de les retirer, à l’exception d’un  seul, à l’automne dernier. Dans le cas des TPG, l’administration avait même produit un calcul détaillé de leurs coûts d’exploitation liés aux besoins spécifiques des entreprises, qu’il estimait à 36,6 millions (pour 2015), ceci en ne tenant compte que des heures de pointe. Un modèle du genre sur lequel nous reviendrons sous peu devant vous.

Nous avons même connu un cas, celui de la BCGe, où une entreprise a été sauvée aux frais de l’État pour un montant de 2,3 milliards (3,2 milliards aujourd’hui, avec les intérêts), un formidable montant qui pèse aujourd’hui de tout ce poids sur la dette publique et donc sur nos charges financières. Cette banque réalise aujourd’hui de somptueux bénéfices, elle va de surcroît tirer massivement profit de la RFFA (au moins 4 millions d’impôts en moins en 2020).

 

  1. Pourquoi baisser massivement l’imposition des entreprises, alors que les besoins de la population augmentent avec son nombre, son vieillissement, ses exigences de formation et son niveau de précarité ?

Les besoins de la population augmentent bien sûr avec le nombre des habitant-e-s, mais aussi des personnes actives. Mais, à teneur des lois sociales existantes, ils augmentent plus rapidement encore en raison de son vieillissement (prestations complémentaires, hôpital et soins à domicile, EMS, etc.), de ses exigences de formation (scolarisation jusqu’à 18 ans, école inclusive, exigences croissantes du marché du travail, formation continue), de sa précarité croissante (subsides d’assurance maladie, aide sociale, etc.). Nous sommes donc placés devant un choix : conserver et développer notre modèle social actuel, ce qui implique de maintenir la progressivité de nos impôts, ou le réviser profondément à la baisse.

L’impact de la 3e réforme de l’imposition des entreprises sur les recettes du canton et des communes est connu depuis 2016. Il est resté globalement inchangé. Les entreprises au statut ordinaire, parmi lesquelles nombre de grandes entreprises et de multinationales, y gagneraient 750 à 800 millions ! Les entreprises à statut spécial devraient payer 200 millions de plus (sans doute moins, grâce aux déductions supplémentaires autorisées). En tenant compte des compensations prévues, le montant des pertes pour l’Etat et les communes serait de l’ordre de 400-420 millions dès la 5e année. Rien de nouveau depuis la première présentation des projets du Conseil d’Etat en 2016.

Quelles inflexions du modèle de départ permettent de présenter abusivement la solution qui vous est présentée aujourd’hui comme un compromis ?

  • Le taux facial est passé de 13,79% à 13,99%, réduisant les pertes encourues d’une trentaine de millions. C’est très maigre !
  • Des pertes échelonnées sur 5 ans en jouant sur une imputation progressive de l’impôt sur le bénéfice à l’impôt sur le capital. En fin de course, cela revient au même, mais permet au Parti Socialiste (repris par la presse) de ne parler que des 186 millions perdus par l’Etat (sans les communes) la 1ère année, sans rappeler que les pertes en 5e année seraient de 407 millions ! C’est une imposture !
  • Un assouplissement du mécanisme de frein au déficit sur 8 ans au lieu de 5, obtenu par le MCG, ce qui montre qu’un parti qui a toujours défendu ce cadeau aux grandes entreprises doute de la possibilité de rétablir les finances publiques en 5 ans. C’est un aveu !
  • Un contre-projet à l’initiative de la gauche et des syndicats pour le plafonnement des primes de l’assurance maladie à 10% du revenu des ménages, que le Conseil d’Etat aurait dû dans tous les cas opposer a l’IN170, est présenté aujourd’hui comme une concession de la droite (même l’UDC l’a soutenue en commission fiscale !), alors qu’il est prévu de le financer par le déficit, par la dette, c-à-d, assez vite, aux dépens d’autres charges de l’Etat. C’est un marché de dupes !

Pendant ce temps, le nouveau magistrat PS, Thierry Apothéloz, pourtant élu au Conseil d’Etat en tant que membre du comité de l’IN170 s’est transformé en principal artisan d’un contre-projet au texte qu’il défendait la veille et en garant de l’adoption par son parti du paquet ficelé en faveur de la RFFA cantonale. Une leçon de choses qui ne sera pas oubliée, espérons-le, par celles et ceux qui observent combien le fait que le PS ait obtenu un second siège au gouvernement a émoussé sa résistance aux solutions prônées par la droite, qu’il va même jusqu’à soutenir aujourd’hui avec des compensations aux allures de mirages.

 

  1. Pourquoi baisser massivement l’imposition des entreprises, alors qu’on s’apprête en même temps à augmenter les impôts des personnes physiques, en particulier les plus modestes, aux niveaux cantonal et communal…

Le Conseil d’État prend déjà les devants en annonçant dans son Plan financier quadriennal 2019-2022 une hausse progressive de la taxe personnelle de 25 à 100 Fr., de 2020 à 2022, qui devrait rapporter 21 millions de francs de plus dès 2022, avec un impact particulièrement fort sur les plus bas revenus.

Ce n’est pas pour rien que nous avons été saisis d’une motion de l’UDC demandant au Conseil d’Etat de négocier avec les communes un accord pour qu’elles renoncent à augmenter le centime additionnel pendant les cinq années suivant l’introduction de la baisse massive de l’imposition des bénéfices et, le cas échéant, de refuser de valider de telles augmentations, en violation de l’autonomie communale. L’exemple vaudois, où la baisse de l’imposition des bénéfices des entreprises est entrée en force depuis le début de cette année, montre que plusieurs communes (Bussigny et Ecublens dans l’Ouest lausannois, Nyon, Rolle, Morges, etc.) ont déjà décidé des hausses substantielles d’impôts.

Nous ne sommes pas opposés à la hausse des impôts immobiliers, prévue également par le Plan financier quadriennal 2019-2022, mais il ne faut pas se cacher qu’elle résulte aussi d’un report de charges, rendu inévitable par la baisse massive de l’imposition des grandes entreprises, des personnes morales vers les propriétaires immobiliers, dont nous n’oublions pas qu’une partie appartiennent aux classes moyennes. Nous laisserons au PLR, au PDC, à l’UDC et au MCG le soin d’expliquer aux petits propriétaires pourquoi ils doivent payer les impôts des grandes entreprises…