Le député Ensemble à Gauche Pierre Bayenet veut permettre au Grand Conseil de destituer un conseiller d’Etat et au peuple de destituer l’ensemble du gouvernement. Un projet de loi a été déposé dans ce sens. Lors de la révision totale de la Constitution genevoise, le Constituant avait volontairement renoncé à prévoir des modalités de destitution des magistrats élus par le peuple. « Les événements récents doivent nous examiner à reconsidérer ce choix », estime-t-il. « Deux systèmes peuvent s’envisager, qui répondent chacun à des impératifs distincts. » Explication du mécanisme.

 

  1. La révocation du Conseil d’Etat

En vertu du principe du parallélisme des formes, le peuple – et seulement lui – devrait pouvoir défaire ce qu’il a fait, en tous temps. John Locke l’exprimait ainsi: « Le peuple est le juge suprême de la façon dont les gouvernants remplissent leur mission puisqu’il est la personne qui leur a donné le pouvoir et qui garde à ce titre, la faculté de les révoquer ». Pour Jean-Jacques Rousseau, « les dépositaires de la puissance exécutive ne sont point les maîtres du peuple mais ses officiers, qu’il peut les établir et les destituer quand il lui plaît ».

Compte tenu du fait que l’élection des magistrats du Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure essentiellement proportionnelle, dans laquelle le poids relatif des voix récoltées détermine l’élection, avec pour conséquence que les Conseillers d’Etats sont souvent élus avec moins de 50% des suffrages exprimés, il serait incohérent de prévoir la révocation par le peuple d’un seul magistrat. En effet, il serait illogique que le peuple puisse destituer un seul magistrat par 51% des voix, alors que ce même magistrat aurait été élu avec 35% des voix. De plus, imposer une majorité qualifiée au peuple serait antidémocratique. La seule option, face à ce qui est une élection globale collective, est une révocation globale collective. C’est d’ailleurs ce système qui a été adopté par les cantons qui connaissent la révocation de l’organe exécutif par le peuple (SO – art. 28 Cst, BE – art. 57 Cst, TG – art. 25 Cst, SH – art. 26 Cst, TI – art. 44 Cst, UR – art. 27 Cst).

  1. La destitution d’un magistrat

Il peut exister des situations particulières dans lesquelles des faits conduisent à l’impossibilité technique ou morale pour un magistrat d’exercer raisonnablement le pouvoir qui lui a été confié par le peuple. On pourrait imaginer une mise sous curatelle, une maladie incapacitante, une privation de liberté ensuite d’une sanction pénale, des soupçons graves de violations importantes des devoirs de la charge, une disparition du magistrat en question. Dans ces circonstances, afin d’éviter des blocages institutionnels qui porteraient préjudice à l’ensemble de l’Etat, et lorsqu’une majorité qualifiée du Grand Conseil estime qu’un maintien du magistrat porte atteinte aux intérêts de l’Etat, il peut être nécessaire de procéder à sa destitution. Plusieurs cantons connaissent ce système (TI – art. 29a al. 2 ; GR – art. 21 al. 3 Cst ; NW – art. 46 Cst ; NE – art. 50a Cst).

  1. La coexistence des deux systèmes

Les deux procédés visant des objectifs tout à fait différents, ils peuvent être combinés. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le canton du Tessin, qui a d’une part prévu à l’article 29a de sa constitution qu’il est mis un terme à la charge du membre du Grand Conseil ou du Conseil d’Etat exercée par un citoyen condamné à une peine privative de liberté pécuniaire pour des crimes ou des délits contraires à la dignité de la charge; d’autre part, l’article 44 de sa constitution prévoit que quinze mille citoyens peuvent présenter au Grand Conseil une demande de révocation du Conseil d’Etat.

Il est difficile à justifier le maintien d’une situation dans laquelle le Conseil d’Etat jouit d’une totale impunité politique durant toute la durée de son mandat. Il nous semble tout aussi difficile à justifier de maintenir un système dans lequel même un Conseiller d’Etat qui se serait rendu de manière évidente coupable de crimes ou de délits dans le cadre de ses fonctions, ne pourrait pas en être écarté sans son accord. La caricature pourrait aller très loin, puisqu’à teneur du droit existant, un Conseiller d’Etat pourrait exercer ses fonctions depuis une cellule de la prison de Champ-Dollon.

Dès lors, il nous semble judicieux d’adopter un système inspiré du modèle tessinois, qui prévoit la cohabitation de la révocation du Conseil d’Etat et de la destitution individuelle d’un magistrat. Par la même occasion, il nous semble indispensable d’inclure les magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes dans ce nouveau régime. Il faut en effet souligner qu’aujourd’hui il n’existe aucune solution institutionnelle pour régler la problématique d’un Procureur général, qui commettrait des crimes ou des délits.

  1. Les modalités de mise en œuvre

Le choix a été fait de placer les barres assez haut, en terme de nombre de signature nécessaires pour l’initiative révocatoire (4% du corps électoral) et pour la majorité qualifiée parlementaire pour la destitution (75% des députés votant). Il faut en effet que ces possibilités soient mises en œuvre lorsqu’il existe un consensus au sein de la population, et qu’elles ne soient dans la mesure du possible pas utilisées par un groupe partisan contre un autre.

Pour le reste, la loi règlera les modalités. A notre sens, la loi ne devrait pas établir de liste des motifs justifiant la destitution, car le Grand Conseil n’agira pas comme organe juridictionnel mais comme organe politique. En revanche, la loi devrait prévoir que le magistrat visé par la procédure puisse, à sa demande, être entendu par le Grand Conseil ou par l’une de ses commissions.